Ou devrais-je dire "les dentellières à Calais" ?
Vendredi, les copines dentellières se sont retrouvées et c'est sous le ciel bleu du Pas-de-Calais que nous avons quand même trouvé Calais :
Quelle chance ! Ils viennent de rénover le beffroi qui va être inauguré ce week-end : il est superbe !
Mais, en réalité, ce n'est pas lui que nous sommes venues visiter, mais la Cité internationale de la Dentelle et de la mode de Calais.
Ils ont installé cette "cité" dans une ancienne manufacture de dentelle de la fin du XIXème siècle, qu'ils ont joliment réhabilitée, en y édifiant une façade de verre sérigraphiée reproduisant les cartons Jacquard et évoquant les courbes féminines :
La partie ancienne a été aussi "reprogrammée" avec succès, mais on peut toujours y observer l'architecture caractéristique, en U, la quatrième côté abritant une immense machine à vapeur qui fournissait l'énergie à l'ensemble de l'usine "collective". En effet, le propriétaire des murs et de la motrice louait ses ateliers à de nombreux fabricants :
Les pigeons n'ont plus à avoir peur de cette grosse machine à vapeur !
Mais, suivons le guide, en commençant par le commencement...
Un peu d'Histoire...
La première salle était consacrée à cette pratique ancestrale, née au XVIème siècle :
Dentelle à l'aiguille nous venant d'Italie
Dentelle aux fuseaux nous venant des Flandres
Extrêmement coûteuse, la dentelle devient vite l'apanage des nobles dont elle symbolise le pouvoir et la richesse : Les hommes sont tout particulièrement friands des ces artifices pour lesquels ils n'hésitent pas à se ruiner. C'est Colbert qui fait venir en France des dentellières italiennes et flamandes, qui nous apprendront leur savoir-faire... mais les dentelles coûtent toujours trop cher, alors que les dentellières sont toujours très pauvres ...
ça, c'est le point de France :
Voici quelques magnifiques réalisations de ces époques, avant que nous n'entrions dans le vif du sujet :
Un peu de technique...
En Angleterre, ils avaient déjà inventé un métier à fabriquer le tulle. Ce métier fut importé clandestinement en France et débarqua une nuit à Calais... ville qui ne possédait pas alors de spécialité dentellière. Les Anglais, nous apprirent à s'en servir, mais en plus, les Calaisiens y adaptèrent un système Jacquard : C'était la naissance de la fameuse dentelle "Leavers" dont les fils sont noués
Voilà un carton Jaquard
Dans la salle des machines, nous avons tout compris de cette époque industrielle ( en premier lieu installée à Calais même) , les bourgeois de la vieille cité n'aprouvaient pas car le bruit des machines tournant 24H/24 les empêchait de dormir : le site fut déplacé dans le village d'à côté : St Pierre-lès-Calais qui se développa tant que Calais demanda à fusionner avec lui à la fin du siècle !
Revenons aux 4 métiers "Leavers" que nous avons vu fonctionner : les cartons Jacquard sont traversés de tiges métalliques transmettant le mouvement au métier :
Un seul homme (remplaçant des milliers de dentellières) surveille le bon déroulement du travail ; ce qui m'a frappée, c'est qu'au contraire de nous qui devons toujours avoir les mains très propres, les siennes sont noires de graphite : produit qui lubrifie la machine. Dès qu'un fil casse, il arrête la machine et recherche le fil, avec un crochet, il le replace et c'est reparti !
Il en sort une dentelle toute grise (comme les mains du tulliste !)... et c'est ça qui sert à faire toute la lingerie distinguée que portent les top modèles.... et les autres modèles.
Autour du tulliste gravite une trentaine de professions différentes :
1) l'esquisseur, qui dessine les motifs à la main (flèche rouge), mais de plus en plus à l'ordinateur (flèche bleue). Ce modèle de dentelle deviendra un soutien-gorge.
2) le dessinateur transforme le dessin en chiffres, en faisant des mesures très précises (flèche verte)
3) le poinçonneur (il n'y en a plus qu'un, car c'est aussi une tâche informatisée) perce les cartons Jacquard en fonction des chiffres du dessinateur (flèche rose)
Au XIX è siècle, ces emplois étaient occupés par des hommes qui en recevaient un bon salaire.
Puis, il y a tous les petits métiers de préparation que je n'ai pas tous notés (ils étaient réservés aux femmes et aux enfants et étaient, bien entendu, sous-payés). C'est le travail des bobineurs(euses), des moulineurs(euses) qui préparent les couples chariots-bobines(flèche jaune), qui seront ensuite installés dans la machine :
On retrouve dans ce passage en machine, occupant le passeur de chaîne, le wheeleur, le tulliste, les motifs de la dentelle qui fera des soutien-gorge :
A la sortie de la machine, d'autres métiers sont indispensables : écailleuse, racommodeuse, découpeuse…
Ici, il faut commencer par repérer tous les défauts pour les racommoder :
Ensuite, il faut laver la dentelle pour en ôter le graphite, la blanchir, la teindre si besoin, la rebroder... et ça occupe encore bien des ouvriers !
Je ne peux pas résister à vous montrer d'autres belles réalisations, de différentes époques, fabriquées en dentelle de Calais
J'ai retenu aussi cette coiffe de Courguinoise (femme de pêcheur de Courgain), dont je vous raconterais bien l'histoire, mais ça prendrait trop de temps :
Alors, avant de partir à la recherche des bourgeois de Calais, je vous livre des idées contemporaines autour de la dentelle : après la dentelle à l'aiguille, la dentelle aux fuseaux, la dentelle à la machine, voici la dentelle aux ciseaux :
des robes en papier :
un rouleau à ne pas utiliser :
Après la visite, le repas pris sur place, entre dentellières:
Ah ? Mais, tiens ? Les voilà nos bourgeois ! Bien dommage qu'il n'y ait pas encore, à leur époque, de dentelle à offrir au roi d'Angleterre au lieu de leur vie ...